Navigation en Baie de Morlaix à l’occasion d’une croisière Bretagne
Navigation entre les cailloux de Roscoff et le Plateau des Duons
Yann, le skipper de Lord Jim II, est originaire de Roscoff. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il connaisse la Baie de Morlaix comme sa poche. Déjà à bord d’Akela, il a sillonné la Baie dans tous les sens, de Roscoff à Primel ou en remontant la rivière jusqu’au port de Morlaix. En Mai dernier à l’occasion d’une croisière en Bretagne Nord, Lord Jim s’est amusé à tirer des bords en dehors des chenaux. Il s’est également offert un mouillage dans un endroit qui habituellement ne voit pas beaucoup passer de quillards, mais plutôt les Cat-boat et les Caravelles de la Baie de Morlaix… Coté « navigation farsus », on est très bien servi en Baie de Morlaix. Histoire de ne pas être accusé de chauvinisme, citons ce Guide de croisière : Cette baie est également, parmi les plus beaux ensembles côtiers de Bretagne… elle possède un caractère maritime qui séduira les amateurs des plaisirs délicats de la navigation « rase cailloux ».
Navigation à la voile dans la Passe ouest de Roscoff
Dans le chenal de l’île de Batz où le courant par vives eaux peut atteindre 4 à 5 nœuds, on respecte généralement le balisage actuel. Mais pour Yann, les photos anciennes de ces voiliers de travail empruntant la passe Ouest de Roscoff, l’ont toujours fait rêver. Comme le Trouz Yar, ces passages réservés « aux gars du coin » permettaient de gagner du temps, et de ne pas être en retard sur la marée. Mais depuis 1969, l’embarcadère de l’île de Batz a définitivement barré la route de cette passe Ouest pour les voiliers. Lord Jim a malgré tout tenu à retourner y tracer un sillage.
L’entrée du Vieux port de Roscoff est décalée de quelques centaines de mètres dans le sud du chenal principal de l’ile de Batz. Avec sa côte à 3.2m, le port de Roscoff est un port d’échouage dont l’accès est limité. Bref, pas question de perdre de temps avec la marée pour les bateaux qui assuraient le trafic des marchandises et des passagers entre Roscoff et l’Ile de Batz.
La cale de mi-marée du Vil située dans l’Ouest, permettait de réduire le temps de traversée. L’autre solution pour gagner du temps c’était d’emprunter la passe de l’Ouest entre l’Ile Verte et les murs des maisons de Roscoff.
L’almanach du Marin Breton de 1905, fournit toutes les indications pour l’emprunter : « On laisse par tribord la balise rouge de Ar-Poloss-Treas, la balise rouge de Carrec-ar-Vas et les murs de Roscoff ; par bâbord on laisse la tourelle noire de Perroc’h, l’île Verte, la balise noire de Notre Dame ou Karrec Aotrou Maria, la roche Sainte Union (7m50) et enfin la balise de la Vache. L’alignement à suivre dans ce chenal est donné par : la tache blanche de la maison Keraoulouen ou Guillou Turc vue par la tourelle blanche de Poullouz. ».
A cette époque ni les 600 mètres de l’estacade ni le quai extérieur du port de Roscoff n’existent. Sur ce plan du port de Roscoff de 1877, toutes les passes d’accès au port depuis le chenal de l’Ile de Batz sont indiquées : en bordeaux la passe Ouest, en vert la passe du centre, en bleu le grand chenal, en rouge la passe Est.
SOURCES : www.histoiremaritimebretagnenord.fr
Une fois sorti du port de Roscoff, on est toutefois pas à l’abri des mauvaises rencontres. Et le chenal de l’Ile de Batz qui n’est pas « éclairé » et que l’on conseille de ne prendre de nuit, a vite fait, même en plein jour, de vous transformer une navigation paisible en gigantesque bazar…
29 juillet 1905, l’échouement du dundee Chouan à Roscoff
Fin juillet 1905, les premiers oignons roses de Roscoff sont embarqués à bord des voiliers de cabotage à destination de la Grande Bretagne. A la fin d’une période de morte-eau, la marée permet enfin aux voiliers chargés de quitter le port. Le 29 juillet à la pleine mer de l’après-midi, huit voiliers quittent les quais de Roscoff, dont le Chouan qui doit faire route sur Middlesbrough en Angleterre. A son bord 95 tonneaux d’oignons, 4 hommes d’équipage et 15 passagers. Suite à une « fausse manœuvre », il s’échoue sur la roche Méanet située à moins d’un demi-mille nautique du port. Le nom de cette roche Méanet, n’apparait plus sur les cartes marines. Mais vu sa silhouette, on la situe juste dans l’ouest de la tourelle Men Guen Bras.
Mouillage et débarquement pour visiter la Tourelle du Plateau des Duons
Lord Jim lui est sorti sans encombres du chenal de l’Ile de Batz et poursuit sa navigation « rase cailloux » vers le Plateaux des Duons et sa fameuse tourelle. Nombreux sont les marins de la Baie de Morlaix qui sont passés devant ou qui en ont fait le tour sans jamais y avoir débarqué. Et pourtant la légende était plutôt attirante, avec cette tourelle des Duons qui devait contenir un tonneau de rhum destiné aux naufragés qui y trouvaient refuge. Il faut dire que le mouillage des Duons n’est pas répertorié dans les Instructions Nautiques. C’est une zone de fort courant, bien exposée à la houle, avec des roches acérées et bien noires histoire de renforcer encore l’atmosphère peu engageante des lieux. Mais Lord Jim n’a pas tremblé, et profitant d’une météo parfaite, l’équipage a pu mouiller sur place et débarquer pour visiter enfin ce « monument historique » de la Baie de Morlaix.
A la fin du 18ème siècle le corsaire morlaisien Charles Cornic Duchesne décide de mettre en place le balisage des principaux dangers le long des chenaux de la baie de Morlaix. Sur le plateau des Duons, il fait construire cette tour qui doit servir à la fois d’amer pour la navigation et de refuge pour les naufragés. C’est la tourelle utilisée pour la navigation, la plus ancienne de toute la Baie de Morlaix. Cette tour circulaire est construite en pierre de taille de granite de l’île Callot. Le calage des moellons est en gabbro et en schistes local. Le gabbro est une roche magmatique, de couleur dominante verte à noire qui est la roche principale de ce plateau. L’escalier extérieur plutôt rudimentaire, donne accès à un étage, percé d’une porte et d’une fenêtre. Cette tour n’a jamais été éclairée bien que cela avait été envisagé à l’origine. La Tour des Duons, très visible de la mer est l’amer d’atterrissage pour accéder au Grand chenal vers Morlaix ou au port de Roscoff.
Les débuts du balisage maritime en Baie de Morlaix par Charles Cornic Duchêne
Au XVIIIe siècle, le balisage des côtes françaises est pratiquement inexistant. Pour naviguer de jour, les marins repèrent quelques amers, des arbres, des clochers ou des moulins. Tous les alignements utilisés sont portés sur les cartes. De nuit, il vaut mieux rester au mouillage…
A Morlaix, Charles Cornic, un ancien corsaire décide d’organiser à ses frais le balisage de toute la baie pour les navigateurs et les pêcheurs de la Baie de Morlaix. A partir de 1770, il installe des marques rudimentaires, comme des perches ou des amas de galets passés à la chaux, sur les écueils dans la baie.
Sur cette carte datée de 1764, dressée avant les travaux de Cornic, par Jacques-Nicolas Bellin cartographe hydrographe du ministère de la Marine, la tourelle des Duons n’est pas encore mentionnée. La navigation ne s’effectue que par des relèvements à terre, sans amers ni balisage en mer.
Ces premiers essais de balisage sont grandement appréciés par les marins, et Charles Cornic décide de dresser une carte de la Baie indiquant toutes ses marques. Il faudra attendre 1793 pour que cette carte soit publiée. C’est de cette époque que date également la construction de la Tourelle de Duons. En 1794, il enchaine avec la construction des amers de l’Ile Louet, de la Tour de La Lande et d’une dizaine de balises. A cette date, grâce à Charles Cornic, la baie de Morlaix est la portion du littoral français la mieux balisée pour la navigation.
La carte manuscrite du Capitaine Charles Cornic représente la baie de Morlaix. Elle représente notamment les principaux chenaux d’accès à la Baie de Morlaix : le chenal de Tréguier ou de Cornou, le Grand chenal qui passe à proximité du Château du Taureau, le chenal de Léon vers la baie de la Penzé et le chenal entre Roscoff et l’île de Batz. Les édifices remarquables, visibles depuis la mer sont représentés.
Quand Lord Jim vous invite à « lâcher les amarres, loin des marinas», il tient sa promesse. Même si on navigue en croisière depuis des années sur les côtes de Bretagne, d’Irlande ou de Cornouailles anglaise, il y a toujours un coin à découvrir, qui n’a pas encore révélé tous ses secrets.
Ah ! au fait… on n’a pas trouvé le tonneau de rhum.