Croisière en Manche, des Anglo-normandes aux côtes de Cornouailles
Naviguer au mois de septembre en Bretagne nord vers les côtes du sud de l’Angleterre au départ de Bretagne a toujours un côté aléatoire. Et oui, la météo peut être capricieuse en croisière en Manche, la mer mouvementée. Il faut accepter d’adapter son programme de navigation, savoir changer ces plans pour profiter au maximum d’une croisière à voile en Manche en fin d’été.
Cette croisière « Scilly – Cornouille anglaise» qui touche à sa fin au moment où j’écris ces quelques lignes en est un parfait exemple. Au départ de Brest le lundi 11 septembre, 30 nœuds d’ouest et 5 mètres de houle sont annoncés en Mer d’Iroise. Qu’importe, les cirés et les gilets VFI sont capelés et nous appareillons pour une mise en jambe « aérée ». Nous retrouvons en rade de Brest la goélette de la marine nationale La Belle Poule, ainsi que le dundee le Mutin. Sous voilure de gros temps tous trois nous tirons des bords et comme les mousses en uniforme, notre petite équipe découvre les gestes des manœuvres et se familiarise avec Lord Jim.
Le temps est largement tourmenté même si le ciel fait place à de larges éclaircies. Nous choisissons de remonter l’Aulne, pour trouver un abri douillet pour passer la nuit. Lord Jim glisse à belle allure et les lumières de septembre enflamment la pointe de Landevenec au tournant de la rivière. Après avoir doublé le cimetière des bateaux nous jetons l’ancre bien à l’abri de la forêt, en aval du pont de Térénez. Nous n’osions pas l’espérer, mais le soleil du soir nous réserve des lumières hallucinante au moment de prendre l’apéro en compagnie de La Belle Poule venu mouillée à une encablure de Lord Jim.
Cap vers les îles Anglo-normandes
Le lendemain ce sera route Nord en profitant d’une accalmie pour rejoindre le port de l’Aber Wrac’h. Nous accostons le long d’une autre goélette à hunier, et quel navire ! Wild Swan, 45 mètre d’acier riveté, tout droit arrivée du Québec. Belle rencontre avec son équipage heureux de toucher terre après une traversée de l’Atlantique.
Les vents et la houle restent trop soutenus pour traverser le « English Channel ». Nous embouquons le chenal de la Malouine entre les gerbes d’eau des déferlantes et traçons notre route vers le repère de contrebandier qu’est le port de Roscoff. Nous y retrouvons Marcus l’anglais et son Grayhound, un lougre corsaire construit de ses mains. Le Grayhound est en opération de transport de marchandises à la voile pour la société TOWT de Douarnenez. Il est chargé de bière et de Whisky, et attend que les vents soient plus favorables pour pouvoir faire de l’ouest et livrer ces précieux liquides au Port Ruz de Douarnenez. Nous profitons de cette étape roscovite pour aller boire une bonne bière locale, et gouter aux galettes de la crêperie de la poste, anciennement nommée « A l’anglais sauté ». Pour en comprendre l’origine lisez « le Négrier » d’Edouard Corbière, et à cette occasion, vous voyagerez entre Roscoff, Brest, la Cornouailles et les Antilles, en pleine époque ou le commerce interlope et la course à la voile battaient à plein.
Le vent et la houle restent de secteur nord ouest soutenu. La décision est prise de faire un détour par Guernesey. Une fois n’est pas coutume mais l’escale et appréciée, ainsi que la randonnée sur la petite île voisine de Sark et sa seigneurie. La navigation y est délicate avec les fort courant de marée de vive eaux, mais Lord Jim trouve à poser son ancre dans une crique sauvage.
Traversée de la Manche vers les ports de la Cornouailles anglaise
Enfin les vents tournent, et nous pouvons pointer l’étrave sur la pointe de l’Angleterre. Vingt heures plus tard après une traversée du Channel et le croisement de ses nombreux cargos, nous entrons dans le petit port de Mevagissey. L’accueil y est chaleureux, et Lord Jim y trouve une place à l’embossage. Il fait déjà nuit mais nous ne pouvons résister à l’envie d’aller respirer l’ambiance du pub local. Mevagissey est en fait le parfait nid des smugglers, à l’instar de Roscoff. Mais pas une fausse note ne vient ternir les lieux. C’est de toute évidence là que le « Kid » déroba le cotre des douaniers pour aller tracer sa route, à la recherche du trésor (voir « l’île de Blackmor » film animé de Jean-François Laguionie).
Falmouth nous appel, et après un bord de près au ras de la côte, nous remontons la rivière de Penryn bordée de Boat House, ces coques de navires transformée en habitations. Nous croisons des navires de toutes sortes, allant du magnifique yacht aux vernis luisants aux voiliers les plus improbables. Le tout dans un joyeux bazar de couleurs et d’odeur d’étoupe et de goudron de Norvège. Sous le Chain Locker, un pub centenaire du vieux port de Falmouth, nous nous amarrons à couple d’Agnès, un magnifique cotre pilote des îles Scilly skippé par Mélissa et construit par Luke Powell de Working Sail. Luke a justement commencé la construction d’un énorme cotre de 68 pieds le long de la rivière Fall, juste en aval de Truro. Alors c’est décidé, demain nous partons voire ça de plus près. Mais avant cela, Fish and chips, déambulation dans les venelles, et l’inévitable pinte de Ale au pub. L’équipage a repris des forces pour affronter la navigation sur la rivière Fall ! Une petite brise pousse notre fier navire. Nous nous enfonçons dans une mer de nuances de verts. La balade à elle seule vaut le coup. Mais cerise sur le gâteau, apparait au détour d’un méandre, la silhouette du « cutter » en construction, qui laisse admirer ces formes, à l’abri d’un hangar temporaire sur mesure. Le chantier donne sur un quai sur lequel nous venons nous amarrer. Là, musique à fond, les charpentiers lissent les couples, font filler à la baguette et au rabot avant de border. Luke ajuste l’arcasse avant de mettre en place la préceinte. 80 mm de chêne en deux pièces raboutées par un trais de Jupiter. Le boulot est magnifique, la structure impressionnante, l’endroit magique, et l’équipe super sympa. Promis nous reviendrons voire l’avancée du chantier !
Nous appareillons avant que la mer ne baisse et profitons du courant pour rejoindre Restronguet Creek pour passer la nuit. Le Pendora Inn, superbe petit Pub au toit de chaume prolonge sa terrasse par un ponton de bois où nous amarrons le dinghy (Un ponton comme on les aime !). Plafond bas et lumière discrète, le lieu regorge de figures de proue, peintures, documents de marine et maquettes extraordinaires. La Ale, le lieu et l’ambiance y sont à notre goût !
Route sur Helford River, nous croisons quelques Oyster Boat, Old Gaffer de travail gréés avec voile de flèche colorée qui se font une petite régate dans la rade de Falmouth. Very nice !
Le temps se gâte à nouveau, il est temps de trouver un havre pour passer l’après-midi au sec, avec sieste, lecture, musique et cup of tea. Lord Jim a ses petites habitudes à Helford et le mouillage y est « just perfect ». La silhouette du cutter Agnès sort de la brouillasse et vient mouiller à moins d’une encablure. Puis c’est au tour de Grayhound, tout juste arrivé de Douarnenez de jeter l’ancre dans l’embouchure suivi de Bessy Elene. Nous nous retrouvons tous bien au sec, au Pub, le Ship Inn, encore un fameux lieu dans tous les sens du terme. Ambiance retrouvaille de vieux pirates, a grandes rasades de pintes. Demain nous faisons route sur la pointe bretonne, il est temps de retrouver le carré douillet de lord Jim avec son poêle qui ronronne. Il est déjà tard, une bonne soupe, pain et fromage puis direction la bannette, pour appareiller aux aurores demain matin.
Cette croisière fut l’occasion d’une sacrée coupure et d’une plongée dans ce pays, au passé maritime puissant, et encore très vivant. Une belle parenthèse pour tout l’équipage de Lord Jim qui, comme Gilles, voulait « Larguer les pontons », des marinas et des milles sollicitations du quotidien. La météo capricieuse ne nous aura pas empêché de tous profiter d’une grosse bouffée d’oxygène et d’embruns. Et pour tout cela : Thanks Jim !