article voiles magazine – Mars 2018
Nous avons toujours de très bonnes lectures à bord de Lord Jim… et lorsqu’un magazine de voile nous fait l’honneur d’un long article sur Lord Jim, on se fait plaisir !! Pour ceux qui ne l’ont encore lu, voici, l’article « LORD JIM 2 en Bretagne, Côte nord et granit rose » publié dans article voiles magazine en Mars 2018. Texte et photos: Hervé Bellenger.
Article voile magazine
« J’allais enfin pouvoir accomplir l’un de mes rêves en montant à bord de Lord Jim?, voilier d’expédition de 12 mètres spécialisé dans les croisières en équipage à destination de la mer Celtique. A moins qu’une météo contraire ne nous oblige à opter pour un plan B. Comme Bretagne… »
Naviguer autrement, loin des marinas …
J’avais gardé en tête le slogan des croisières sur Lord Jim et je m’étais promis que moi aussi, un jour, je partirais comme équipier sur ce voilier à la découverte de la mer d’Irlande et de ses paysages que j’imaginais à la fois sublimes et rugueux. Mais j’avais laissé le temps passer et voilà que j’apprenais le départ à la retraite de Jacques Guillemot, son skipper et armateur, et la mise en vente du bateau… Ayant eu vent qu’un nouveau capitaine prenait le relais, j’étais bien décidé cette fois à ne pas laisser passer ma chance. Et malgré un nombre limité de places, je parvins tout de même à me glisser dans le voyage inaugural de la saison 2017 à destination des Scilly, petit archipel perdu au sud-ouest de l’Angleterre.
Le charme simple et un peu désuet du navire
C’est ainsi que début avril, je rallie le Moulin Blanc, port d’attache du navire. Arrivé à Brest dans la nuit, je profite de la possibilité qui m’est offerte de dormir à bord la veille du départ, les autres équipiers devant me rejoindre le lendemain matin. En m’approchant du voilier, je suis d’emblée séduit par son look ravageur. Je découvre sa coque à bouchains sobrement recouverte d’une laque noire tandis qu’un trait de gouge jaune vif court le long de ses flancs pour en souligner les formes. Contrastant avec le sombre de la coque, pont, roof et cockpit sont couleur blanc crème. Une casquette de veille posée au-dessus de la descente et un imposant bout-dehors, sur lequel l’ancre reste à poste, accentuent son air de voilier de voyage. Sur son large tableau arrière je peux lire, écrit en grosses lettres blanches : Lord Jim. Empoignant les haubans, je me hisse sur le voilier et enjambe les solides filières. Pavois ceinturant le pont, lignes de vie, grosses mains courantes en inox qui courent sur le rouf et se prolongent sur la casquette, imposant balcon en pied de mât, à l’évidence, la sécurité des équipiers est ici prise très au sérieux. Après ce rapide tour d’horizon j’emprunte la descente. La laque ivoire qui recouvre les parois de contreplaqué marine de la cabine apporte une sensation de clarté et d’espace tandis qu’ici et là, des touches de bois verni ou de cuivre rehaussent le charme simple et un peu désuet du navire. Mais c’est la disposition quelque peu atypique des lieux qui interpelle. En effet, le carré a été « repoussé » à l’avant du bateau dans une sorte d’alcôve occupée par une vaste table octogonale encadrée de larges et confortables banquettes. Une épaisse moquette recouvre le plancher. C’est l’endroit idéal pour réunir l’équipage pour les repas à l’escale et où il fait bon consulter un des ouvrages de la bibliothèque de bord attenante. Cette disposition, voulue par le premier commanditaire du voilier, vise à séparer la cabine en deux zones : sèche et humide. De fait, au pied de la descente un grand coffre et des équipets permettent de ranger bottes, cirés et gilets de sauvetage. Pour le reste, la disposition du voilier a été pensée de façon assez classique pour une utilisation collective. Tout à l’arrière, sous le cockpit, deux cabines doubles. Sur bâbord une vaste cuisine, pourvue de nombreux rangements tandis qu’à tribord on dispose d’une belle table à cartes avec, à portée de main, une instrumentation des plus complètes. Plus avant on découvre sur chaque bord des couchettes pourvues de toiles antiroulis. Un cabinet de toilette avec un évier coulissant et une douchette complètent l’équipement du bord de ce bateau entièrement refait en fin de saison 2016 par son nouveau propriétaire.
Au matin l’équipage est enfin réuni. Il y a là Yann de Kerdrel notre skipper, Sylvie, Sophie et Alain, heureux propriétaire d’un Pogo 8.50 et habitué des croisières que Yann proposait déjà autour de l’Atlantique sur un de ses précédents bateaux. L’avitaillement, privilégiant le bio et le local, déjà effectué par le skipper, est prestement rangé au fond des nombreux coffres. Cette tâche accomplie, nous partons Sous la houlette du capitaine à la découverte du bateau qui s’achève par l’habituel topo sécurité. A cette occasion, nous apprenons que le bateau est enregistré aux Affaires maritimes en NUC (c’est-à-dire comme navire de plaisance à utilisation commerciale) et, à ce titre, soumis à une réglementation plus exigeante en termes d’équipement de sécurité. Nous pouvons à présent larguer les amarres. Nous devons rejoindre les Scilly, un petit archipel à l’ouest du cap Lizard, où nous assisterons au Gig World Championship. Cet événement haut en couleur attire chaque année, depuis 1990, des équipages de rameurs venus de tout le sud de l’Angleterre et parfois même de plus loin encore… Afin de nous familiariser tranquillement avec le bateau, nous resterons ce matin à l’abri de la rade. Nous ne sommes pas seuls sur le plan d’eau et nous apercevons au loin deux voiliers de l’école des Glénan, aisément reconnaissables à la bande rouge qui barre le haut de leur grand-voile. Après être passés entre la pointe de l’Armorique et l’île Ronde, nous mouillons à l’abri de l’anse d’Auberlach pour déjeuner. Au passage, nous apercevons deux imposants ducs-d’Albe, aujourd’hui désaffectés, destinés à l’origine à accueillir le cuirassé Bismarck – le vaisseau amiral du Reich fut coulé par l’aviation britannique en mai 1941 avant d’avoir atteint les côtes bretonnes. Après la pause de midi, nous faisons demi-tour et nous dirigeons vers l’entrée du goulet de Brest sur notre bâbord. A peine doublée la pointe des Espagnols, nous sentons déjà l’air qui se renforce. Nous longeons la presqu’île de Roscanvel jusqu’à atteindre Camaret toute proche. Nous trouvons une place au port du Notic, en plein centre-ville, face au quai Vauban. Notre navigation du jour s’achève sur un splendide coucher de soleil qui illumine les façades multicolores de l’ancien port langoustier. Après le dîner, notre skipper nous expose les prévisions météo. La montée vers les Scilly avec un nordet de 15 à 20 nœuds relativement maniable s’annonce sans difficulté majeure mais pour le retour, un coup de vent de 30 nœuds prévu sur zone rendrait le trajet trop inconfortable.
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Passé la protection de l’île, le vent monte
Yann propose donc de décaler notre retour d’une journée afin de laisser passer le coup de vent. Mais les obligations professionnelles des uns et des autres ne le permettent pas… Si les conditions météo n’évoluent pas favorablement, nous serons contraints de poursuivre notre croisière sur les côtes de Bretagne Nord. Au matin, il est temps de prendre congé de la petite cité balnéaire. Nous longeons le sillon et nous apercevons, témoignage d’un riche passé historique et culturel, la chapelle Notre-Dame de Rocamadour dont un boulet de canon décapita le clocher de granit en 1694, puis la tour Vauban, à cette époque inachevée mais dont les occupants parvinrent malgré tout à tenir tête à l’envahisseur anglo-hollandais. Nous voilà donc partis en direction d’Ouessant. Le temps est instable, alternant grains et éclaircies, ce qui nous oblige à de fréquentes manœuvres de réduction puis de renvoi de toile. Devant le phare de la Jument, le courant lève de puissantes vagues qui tapent contre la carène et nous fait dériver à l’approche d’Ouessant. Gare à ne pas manquer l’entrée de la baie de Lampaul! Mais Yann connaît son affaire… Nous arrivons donc sans encombre puis, après avoir pris un coffre à la voile, nous gonflons l’imposante annexe au mouillage et gagnons la minuscule cale de Porz Pol pour une rapide visite du bourg suivie d’une halte rafraîchissante à la terrasse d’un café. Le soleil, déjà bas sur l’horizon, illumine le paysage d’une magnifique lumière dorée et nous donne l’idée d’une séance photo improvisée. Tandis que nous rejoignons tranquillement par un sentier du littoral la petite anse de Bougezen pour nous y poster, Yann et Alain filent chercher Lord Jim et enchaînent les virements de bord afin de nous permettre de prendre des clichés du voilier sous son meilleur angle dans ce cadre superbe. Après cet intermède, le patron consulte les prévisions météo et nous confirme que nous poursuivrons notre route à la découverte du littoral breton.
Nous partirons donc d’Ouessant ce soir vers 23 heures, profitant d’une marée qui nous poussera en direction de Roscoff pour une navigation de quelque 50 milles en ligne droite. Alain et Sylvie prendront le premier quart de quatre heures, le capitaine demeurant pour sa part hors quart. Passé la protection de l’île, le vent monte très vite et atteint rapidement les 30 nœuds. Je regagne ma couchette, tâchant de m’y reposer un peu avant mon quart mais la cabine, qui amplifie tous les bruits, fait office de caisse de résonance. J’entends les pas de l’équipage lors des déplacements sur le pont, le cliquetis des winches et des poulies, le passage de la bôme aux virements de bord. La coque du navire tape et vibre intensément sous les coups de boutoir d’une mer passablement agitée. Je me sens un peu nauséeux et crains d’être gagné par le mal de mer. Je me cale dans la descente pour respirer un peu d’air frais puis retourne à ma couchette, peinant à trouver le sommeil. Quand vient mon tour, je m’habille en hâte et rejoins Sophie, mon binôme dans le cockpit. A la pâleur de son visage je devine qu’elle n’est pas au mieux… Mais l’air frais l’aide à reprendre des couleurs et je découvre une équipière qui barre et règle le bateau avec beaucoup de maîtrise. Nous nous relayons régulièrement et je m’efforce de m’acquitter au mieux de ma tâche. Enfin le jour se lève et ce quart, qui ne fut pas de tout repos ni pour nous ni pour le skipper, s’achève. Mais nous n’avons pas le cœur de réveiller l’autre bordée. Yann pensait nous mettre à l’abri dans le chenal de Batz mais le vent a encore tourné. Il décide finalement de rentrer au Vieux-Port de Roscoff où nous pénétrons à la voile. Nous accostons contre le quai réservé aux bateaux de pêche. Épuisé, je regagne ma couchette. A mon réveil, nous sommes en baie de Morlaix devant l’île Louet, dans un décor de carte postale. Au déjeuner, nous prenons le temps d’apprécier un des bons petits plats préparés par Yann qui, décidément, a plus d’une corde à son arc. Seul faux pas culinaire, il a quelque peu sous-estimé la quantité de beurre salé nécessaire à satisfaire la gourmandise d’un équipage entièrement composé de Bretons. Qu’importe, à la prochaine épicerie il pourra réparer son « erreur ».
Les dernières lueurs du soleil
En fin d’après-midi, nous mettons le cap sur les Sept-Îles que nous atteignons après un peu plus de deux heures de navigation au portant. Ce petit archipel au large de Perros-Guirec accueillait jadis des moines cordeliers venus prier dans la solitude. Il est désormais le paradis des oiseaux marins. Nous y passerons la nuit amarrés à l’imposant coffre réservé à la navette qui dépose en saison de nombreux visiteurs. L’endroit est magique et la nuit des plus calmes. Nous faisons ensuite relâche pour la journée à Ploumanac’h, splendide petit port de pêche enchâssé dans la côte de Granit Rose. Nous visitons la petite cité et empruntons le chemin des douaniers qui, parmi les chaos granitiques, mène au phare de granit rose reconstruit après-guerre sur la pointe de Mean Ruz. Après cette superbe escale, nous gagnons toujours plus à l’est pour rejoindre Port-Blanc, un havre naturel et profitons des dernières lueurs du soleil pour admirer ce superbe endroit. Au matin, il est temps de s’en retourner vers Brest, et s’il est vrai que le temps est redevenu plus maniable, Yann n’en demeure pas moins prudent car les parages sont hérissés de cailloux. Notre destination du jour sera Landeda. Il choisit, la cardinale ouest du Libenter comme bouée d’atterrissage puis vise la cardinale du Petit Pot de Beurre avant de poursuivre la remontée du chenal balisé qui nous conduit au port de plaisance de l’Aber Wrach sur tribord, seul port de pleine eau entre Morlaix et Brest. En chemin, nous sommes dépassés par un bateau de pêche encadré de sa bruyante escorte de goélands. Arrivé à destination, j’observe du coin de l’œil le skipper car j’ai remarqué qu’il choisissait volontiers l’endroit du port le plus compliqué pour accoster son bateau avec une maestria un rien agaçant…
Après la douche, l’équipage se retrouve au bar du Yacht-club des Abers. Le local est orné des affiches de la Transmanche que les membres du YC Abers organisent depuis 1985. Le soir, après le repas, nous allons boire un verre à l’Escale, fameux Pub local et disputons quelques parties acharnées de baby-foot.
Le lendemain, le départ est matinal et le temps maussade. Pour autant, le vent ne nous aura pas quittés de la semaine. Nous doublons enfin la pointe Saint-Mathieu, signe que nous approchons du but. Puis, parvenus en rade de Brest, nous naviguons de conserve avec la Recouvrance. Le voilier regagne son Poste d’amarrage au Moulin Blanc, au pied du café “le tour du monde”. Il est temps à présent de nous donner rendez-vous l’année prochaine car en dépit de cette superbe semaine bretonne, nous aimerions quand même bien visiter les Scilly.
Comment naviguer sur Lord Jim?
Lord Jim est un voilier de 12 mètres en composite bois époxy spécialement conçu et construit pour des navigations en équipage en mer Celtique. Il navigue de mai à septembre à partir de Brest vers les Scilly, l’Irlande, la Galice, mais aussi la Bretagne Nord et Sud en fonction d’un calendrier qui s’adapte chaque année aux différentes fêtes et événements maritimes. Ces croisières sont avant tout destinées à des stagiaires désireux de participer aux manœuvres du voilier. Pour une croisière d’une durée comprise entre trois et onze jours, il vous en coûtera entre 480 et 1 380 € par personne (voir le calendrier sur le site de Lord Jim). La formule de croisière aux Scilly pour une durée de six jours, d’un montant de 720 €, constitue à nos yeux un excellent compromis. En avant-saison, une formation Skipper >> d’une durée de onze jours est également proposée au prix de 1 490 €. Nous ne pouvons que vous recommander ce stage en petit comité dispensé par un formateur très expérimenté, pédagogue et au calme très apprécié. La caisse de bord comprenant les consommables de croisière est de 25 € par jour. Ce n’est pas bon marché certes, mais l’avitaillement (effectué par le skipper) est plus que suffisant, de grande qualité et la cambuse reste toujours ouverte pour combler les petits creux des équipiers.
Les deux vies de Lord Jim 2
Lord Jim2, c’est l’histoire d’une collaboration entre Jacques Guillemot, ancien officier de Marine marchande et Jacques Montaubin, architecte naval reconnu et atypique. Jacques accueille dès 1989 sur son Gin Fizz des stagiaires pour des croisières depuis Brest vers les Scilly et l’Irlande. Mais son voilier, même adapté à ces croisières en mer d’Irlande, ne le satisfait pas pleinement. Au fil des saisons, il mûrit le projet d’un voilier à la fois simple, sûr et rapide pour coller au mieux à son slogan: « Naviguer autrement loin des marinas ». Il expose son cahier des charges à plusieurs architectes et c’est finalement Gilles Montaubin qui lui propose le plan d’un bateau qui colle le mieux à ses aspirations et à son budget. Le bateau de 12 mètres en contreplaqué époxy sera construit au chantier MER en Vendée et terminé à Saint-Nazaire par le skipper lui-même. Mis en service en 2002, il donnera, treize années durant toute satisfaction à son propriétaire. Mais en 2015 sonne l’heure de la retraite pour Jacques qui met à regret Lord Jim en vente. Après des années de bourlingue en tant que capitaine, Yann de Kerdrel est la recherche d’un projet qui lui permettra de se fixer dans sa Bretagne natale. Il apprend que le voilier est en vente, il le connaît bien, le projet de vie lui correspond. Il décide donc de contacter Jacques Guillemot. Il n’est que temps, le voilier vient de trouver preneur et doit partir pour une nouvelle vie à la plaisance en Méditerranée. Mais par chance, l’affaire n’est pas encore finalisée. Les deux hommes, qui se connaissent, se rencontrent et tombent rapidement d’accord. Lord Jim va pouvoir poursuivre une activité pour laquelle il a été conçu. Le nouveau skipper doit s’atteler à la tâche sans plus attendre car la saison démarre. Mais il devra attendre l’hiver 2016 et le printemps 2017 pour finaliser le refit du bateau. Après une première saison d’exploitation de Lord Jim, Yann de Kerdrel décide en effet d’opérer une mise à jour complète du bateau visant non seulement à le rafraîchir mais aussi à le faire évoluer en termes de confort, de performance et de sécurité. Dans la cabine, un chauffage de type Refleks, bien agréable et très esthétique, a été installé pour les croisières de début et de fin de saison un peu fraîches. Un réfrigérateur a trouvé sa place dans la cambuse, et autorise une gestion beaucoup plus facile de l’avitaillement. Sur le pont, outre le gréement dormant qui a été changé préventivement, un solent sur enrouleur a été ajouté de même qu’une trinquette sur étai largable. Un spi asymétrique de 120 m. est venu compléter la garde-robe du bateau. L’accastillage a été entièrement revu et le gréement courant remplacé. De même, un pilote hydraulique s’est substitué à l’encombrant régulateur d’allure. Au niveau de la table à cartes également, les choses ont bien évolué. On y trouve désormais une instrumentation des plus complètes, qui renforce de manière très significative la sécurité de l’équipage. Pour un bateau qui coupe le rail d’Ouessant deux fois par semaine, c’était sans doute indispensable.